Économie
18.05.2022

La guerre et les semailles. L’Ukraine pourra-t-elle se nourrir et nourrir le monde ?

Une bouteille d’huile de tournesol sur trois et un morceau de pain sur dix dans le monde proviennent d’Ukraine.

À l’heure actuelle, la guerre bloque le travail des agriculteurs ukrainiens : les semailles sont menacées, d’importantes chaînes logistiques ont été rompues et les exportations de produits agricoles par les ports maritimes ont été suspendues. L’agresseur bombarde des installations agricoles, mine des champs et vole du matériel ukrainien. Quels ajustements la guerre a-t-elle apportés au travail des agriculteurs ? Marquera-t-elle le début de la famine ? L’article répond à ces questions.

La guerre et les semailles. L’Ukraine pourra-t-elle se nourrir et nourrir le monde ?

Le rappel du passé agraire ukrainien

L’Ukraine a toujours été un pays agraire grâce au lieu géographique, au climat favorable et aux sols fertiles. Au début du XX siècle, les territoires ukrainiens étaient presque entièrement sous l’oppression de l’Empire russe. Mais, déjà à cette époque, l’Ukraine était la première sur le marché alimentaire international.

Faisant partie de l’Union soviétique, l’Ukraine produisait des récoltes impressionnantes. Par exemple, la République socialiste soviétique d’Ukraine n’occupait que 2,7 % du territoire de l’URSS, mais fournissait environ 25 % de tous les produits agricoles de l’Union. 62 % des betteraves sucrières, 59 % du maïs, 44 % du tournesol, 26 % des pommes de terre, 24 % du blé provenaient d’Ukraine.

Malgré l’avènement de l’indépendance, en 1990-1991, l’Ukraine a perdu ses marchés. Il y a eu une mauvaise récolte, ce qui a entraîné une forte baisse de la récolte brute. Une telle baisse a été observée au cours des années suivantes, mais la stabilisation de la situation économique ainsi que les conditions climatiques et naturelles favorables ont permis au secteur de se rétablir.

Le stade de développement actif du secteur agro-industriel ukrainien s’est produit en 2000-2010. Il y a eu un changement dans le modèle d’affaires. L’Ukraine a commencé à développer activement sa production et à augmenter son potentiel d’exportation.


L’Ukraine agraire de nos jours

De 2010 à aujourd’hui, le secteur agricole ukrainien est à son apogée. Les agriculteurs ont appris à intégrer les technologies modernes et les méthodes avancées du business, les drones, l’agriculture de précision, les systèmes de gestion agricole et d’autres innovations.

En 30 ans d’indépendance, l’Ukraine est devenue un pays agricole puissant qui cultive, transforme et exporte.

Seulement en 2020 l’Ukraine :

  • a cultivé plus de 30 millions de tonnes de maïs, dont 23 millions de tonnes ont été exportées ;
  • a cultivé plus de 25 millions de tonnes de blé, dont 16 millions de tonnes ont été exportées ;
  • a transformé des graines de tournesol et a reçu plus de 5,9 millions de tonnes d’huile, dont 5,2 millions de tonnes ont été exportées.


  • Агробізнес — Quelle part de produits a été exportée en 2020 et quels ont été les revenus?
  • Виробництво — Agro-industrie
  • Production en milliers de tonnes
  • Експорт — Exportations en milliers de tonnes
  • Дохід — Revenus d’exportation en millions de dollars US
  • Дохід у дол.США — Revenus en dollars US par tonne de produits exportés
  • Кукуруза — Maïs
  • Пшениця — Blé
  • Овочі — Légumes
  • Ячмінь — Orge
  • Сон. олія — Huile de tournesol
  • Плоди та ягоди _ Fruits et baies
  • Соя — Soja
  • Ріпак — Colza
  • Мясо птиці — Volaille
  • Мед — Miel

Source: Держстат Source: Service national des statistiques de l’Ukraine, département de l’Agriculture

Україна експортує … L’Ukraine exporte beaucoup de matières premières. La base d’exportation est constituée de céréales et d’oléagineux. Bien qu’ils génèrent des revenus considérables, ils apportent moins de valeur ajoutée par rapport aux produits finis et transformés qui sont beaucoup moins exportés.

Source: https://agribusinessinukraine.com/the-infographics-report-ukrainian-agribusiness-2021/


 La plupart des produits agricoles ukrainiens ont été exportés vers la Chine, la Turquie, les Pays-Bas, Israël, l’Espagne, l’Italie et d’autres pays. En général, l’Ukraine fournit environ 10 % des exportations mondiales de blé, y compris le blé alimentaire, environ 16 % des exportations mondiales de maïs, près de 55 % du commerce mondial de l’huile de tournesol.

Cela signifie qu’une bouteille d’huile de tournesol sur trois et un morceau de pain sur dix dans le monde proviennent d’Ukraine.


La guerre change les règles

Aujourd’hui, l’organisation des semailles de printemps 2022 en Ukraine constitue un très grave problème. Les experts prédisent que cette campagne particulière deviendra la plus difficile de l’histoire de l’indépendance.

Comme l’explique Oléna Néroba, responsable du développement commercial de la société de courtage agricole Maxigrain, traditionnellement 90 % du blé ukrainien est du blé d’hiver.

En raison d’hostilités actives et des territoires partiellement occupés ou encerclés, la diminution de la superficie cultivée est possible.

Source: le ministère des Armées de la France


Presque toutes les régions clés de l’Ukraine engagées dans la culture du blé ont déjà été ensemencées, mais il y a des zones où les agriculteurs ne peuvent pas appliquer des engrais et effectuer d’autres travaux des champs.

Le travail est également entravé par les mines laissées sur les terres agricoles. Il existe des champs minés dans les régions de Donetsk, Luhansk, Zaporizhzhya, Chernihiv, Kiev, Kharkiv, Odessa, Sumy et Mykolaiv.

Les agresseus volent aussi constamment des équipements. Un tel cas a été enregistré dans la région de Chernihiv. Là, les militaires russes ont détourné des tracteurs pour évacuer le matériel endommagé.

Des installations stratégiques telles que des élévateurs à grains, des ports et des chemins de fer ont été visés par des attaques à la roquette.

Il existe d’autres problèmes dans les régions plus sûres où il est possible de travailler. La rédactrice en chef de la publication ukrainienne SuperAgronom.com Olena Basanets en a parlé. Les travailleurs agricoles se plaignent du manque de carburant ou de leur incapacité à l’acheter dans les volumes requis en raison du manque de fonds. Un autre problème des agronomes ukrainiens est celui des graines, ou plutôt de leur rareté en raison d’une logistique compliquée ou du manque de fonds pour les semences.

Un autre problème est le manque d’engrais. En raison de la guerre russo-ukrainienne, les prix des engrais dans le monde ont atteint le niveau de 2008, selon le magazine CNBS. Le fait est qu’en 2022, la Russie était le premier exportateur mondial d’engrais azotés et le deuxième fournisseur d’engrais potassiques et phosphatés. Actuellement, les chaînes d’importation du pays agresseur sont interrompues. Le prix du gaz, quant à lui, a conduit à l’abandon progressif de la production d’engrais en Europe. Cela réduit encore davantage un marché déjà très étroit.

À propos, si les agriculteurs ukrainiens ne sont pas en mesure de fertiliser en mars, les experts prévoient une diminution du rendement du blé d’hiver de 15 % en moyenne.

En ce qui concerne le maïs, le tournesol et les cultures de printemps – le 25 mars, le site web du ministère ukrainien de la politique agraire et de l’alimentation indique que 11 régions d’Ukraine ont commencé à semer les cultures de printemps, et que 150 000 hectares ont déjà été ensemencés. On y sème du maïs, du soja, des tournesols, du blé, du sarrasin, de l’avoine et des betteraves à sucre.


Sécurité alimentaire mondiale : à quoi s’attendre

Ce n’est pas seulement la saison des semailles qui est physiquement paralysée par la guerre. Yuriy Gavrilyuk, associé et directeur de la société de conseil et d’analyse Barva Invest, affirme que l’exportation de produits agricoles est également menacée. Ce ne sont pas seulement les lieux où se déroulent les combats qui sont touchés, mais aussi les zones civiles et cela se produit à cause de:

– Destruction des infrastructures, des chaînes logistiques,

– interruption de l’approvisionnement en carburant et en pièces de rechange,

– le manque de personnel (chauffeurs, personnel d’entretien),

– des problèmes pour se conformer à la bureaucratie “pacifique” (par exemple, l’obtention de permis d’exportation).

L’ennemi bloque la mer, par laquelle l’Ukraine exportait jusqu’à 90 % de toutes les cargaisons de céréales et d’oléagineux. Il en résulte une baisse des recettes en devises et des recettes budgétaires, une pénurie de fonds de roulement, une infrastructure portuaire inactive et une menace pour la sécurité alimentaire internationale. Quant à ces derniers, 35 pays africains dépendent des denrées alimentaires importées de la région de la mer Noire. C’est ce qu’a déclaré la directrice de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala.

L’Ukraine fournit du blé au Programme alimentaire mondial, une agence des Nations unies qui assure l’approvisionnement d’urgence des pays en conflit ou victimes de catastrophes naturelles telles que la famine.

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a exprimé son inquiétude. Selon lui, la guerre en Ukraine pourrait perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales en céréales et déclencher une crise alimentaire majeure.

Le directeur du Programme alimentaire mondial, David Beazley, a déclaré que le nombre de personnes menacées de famine dans le monde était déjà passé de 80 millions à 276 millions. Cela s’est produit à cause du coronavirus, du changement climatique, de la crise du coronavirus et de la guerre en Ukraine.

David Beazley estime que la guerre en Ukraine entraînera une hausse des prix alimentaires mondiaux. La hausse des prix des denrées alimentaires aura des conséquences désastreuses, avant tout pour les pauvres.

Les analystes mondiaux préviennent que la guerre aura un impact sur la production de céréales et d’oléagineux et fera doubler les prix mondiaux du blé, des produits transformés et de l’huile végétale. La plupart des pays européens connaissent déjà une pénurie d’huile végétale. Ce produit peut être acheté avec un approvisionnement limité “à une main”.

Le réapprovisionnement dépend uniquement de l’établissement de connexions logistiques. Mais les conséquences d’une réduction des superficies en Ukraine en raison de la guerre pourraient être bien plus importantes en 2022.


Les Ukrainiens auront-ils faim ?

La principale publication agroalimentaire d’Ukraine, Latifundist.com, a publié des données analytiques selon lesquelles, au début du mois de février, les agriculteurs ukrainiens disposaient d’environ 26,6 millions de tonnes de céréales et de légumineuses dans leurs entrepôts et leurs installations de production. Au 1er février, l’Ukraine disposait de 6,1 millions de tonnes de résidus de tournesol et de 1,5 million de tonnes de soja et de colza.

Selon les calculs analytiques des experts, si les agronomes ukrainiens parviennent à semer et à ensemencer à temps 75% des terres arables dans les régions où se déroulent des hostilités actives, la part des surfaces ensemencées perdues pendant la guerre diminuera de 12,5%, soit des millions d’hectares.

Dans le scénario le moins optimiste, où les agriculteurs cultivent 50 % du total des terres de la région frappée par la guerre, 21,7 millions d’hectares sont cultivés, soit 23,3 % de moins que la surface cultivée en 2021.

Une baisse de 34,1 % de la superficie des terres cultivées se produira si les agriculteurs ne parviennent à planter qu’un quart de la superficie totale des terres arables de l’Ukraine, soit 18,7 millions d’hectares.

L’Ukraine a exporté la majorité des céréales récoltées, ce qui signifie que les pays qui avaient l’habitude d’en importer risquent toujours de mourir de faim. Quant aux Ukrainiens, ils peuvent compter sur leur approvisionnement en nourriture. Il est difficile de prévoir le coût de la nourriture. Bien sûr, la guerre va frapper les poches des Ukrainiens. Et le prix le plus élevé sera payé par les agriculteurs et les militaires. Ils travaillent dans des conditions extrêmement difficiles et risquent leur vie chaque jour pour l’avenir de l’Ukraine et au-delà.

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